Si côté Culture la situation est au point mort, il nous reste encore le droit de Lire et de Penser (pour longtemps ?)… Michel Negrell, le philosophe Mézois, "profite" de la situation pour partager avec nos lecteurs la "substantifique moelle" d'un nouveau courrier : Que la Joie vous accompagne…
Chers vous tous et toutes,
Je vous souhaite, en ce début d’année, une joie « continuelle et suprême pour l’éternité ».
J’ai cherché, comme tout le monde, dès le début de ma vie, le bonheur, c’est-à-dire à satisfaire mes besoins, d’amitié, d’amour, de santé, de métier, de sécurité physique et financière … Oui, cela est bel et bon. On peut être satisfait de ses satisfactions. Certes. Mais la satisfaction n’est pas suffisante, elle ne va pas très loin. On ne peut pas se contenter du contentement. La satisfaction, c’est très étroit. C’est très limité. Ça correspond à notre finitude. Ce que je cherche, c’est l’illimité, l’infini. Contrairement au besoin, le désir est désir du Tout, du Monde, du Monde dans sa substance même (qui est d’exister). Le désir est désir du durable, pas de l’accidentel. La satisfaction des besoins est très fragile, très incertaine. Elle dépend trop de la bonne « fortune » comme on dit. La bonne « fortune » a sa cause hors de nous. Vous le savez, le virus est aléatoire. Nous sommes tous fragiles. Succès et échecs se succèdent.
Le bonheur ne peut être assuré que s’il vient de l’intérieur de chacun, de chacune, d’entre nous. Existe-t-il une source au bonheur qui nous soit intime ? Intime, mais en rapport avec l’extérieur, avec le Monde, auquel nous appartenons et qui pourtant nous paraît si étranger. Oui, ce serait ça le bonheur : se retrouver soi dans le Monde, dans le Monde qui est nôtre. Se retrouver Monde, accéder à l’intime infini du Monde. Ou du moins y tendre. Comme le dit Kierkegaard « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est chemin. » L’ouvrage majeur que j’ai écrit, l’Éthique, se termine par ces mots : « Si, il est vrai que la voie que je viens d’indiquer paraît très ardue, on peut cependant la trouver. » Ce bonheur existe, je l’appelle Joie.
Le but de ma recherche philosophique était donc la découverte « d’une joie permanente et souveraine ». Je découvris que le stade suprême de la Joie concernait un rapport spécifique de l’homme au Monde. L’homme est à la fois inclus dans le Monde, il en fait partie comme fragment ou expression, et il est affecté en permanence par d’autres fragments du Monde. La Joie apparaît lors d’un certain traitement des fragments du Monde affectant le fragment du Monde que je suis.
Comment cela ? Il y a deux voies : le chemin de la connaissance, celui de l’intellect, des idées, des abstractions, des concepts, de l’esprit et le chemin de la résonance, celui du corps, des affects, des contacts physiques et sensoriels. La connaissance mobilise la raison, elle est discursive et raisonnante. La résonance mobilise la sensibilité, elle est intuitive et procède par imprégnation. L’Éthique définit les deux chemins de la Joie. Les voies de la Joie sont tout à la fois charnelles et spirituelles.
Raisonner et résonner : deux manières d’accéder à l’être du Monde en tant qu’il existe. Par exemple à l’égard d’un petit chat je peux mobiliser les savoirs de l’anatomie, de la physiologie, de l’éthologie, … etc. et je peux aussi me laisser impressionner, par ce qui émane de lui. Ainsi je m’élargis au monde parvenant à l’intimité du chat par connaissances et résonances, à sa manière propre d’exister qui est une modalité de l’existence du Monde. M’élargissant à la substance du Monde qui est Existence j’augmente, j’accrois, ma propre puissance d’exister.
La Joie passe par l’accroissement de notre puissance (finie) d’exister puisée dans la puissance (infinie) d’exister du Monde. Nous rejoignons cette puissance infinie par sa reconnaissance. La Joie est le signe de l’accroissement de notre puissance d’exister.
C’est la bonne nouvelle que je voulais partager avec vous. Salutations philosophiques, Baruch