La photosynthèse artificielle

L'épuisement des énergies fossiles et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre impose à l'humanité de trouver d'autres sources d'énergie. Cette nécessité est d’autant plus impérieuse que le nucléaire basé sur la fission de l'uranium semble devoir être abandonné dans de nombreux pays compte tenu des craintes que suscite cette technologie et de la difficulté à se débarrasser des déchets radioactifs qu'elle génère.  Aujourd’hui, l’éolien et le solaire permettent d'amorcer cette nécessaire transition énergétique mais toutes les études montrent que ces formes d'énergies seront cependant insuffisantes pour couvrir les besoins énergétiques de l'humanité dans le futur. De plus leur intermittence impose le recours à des batteries de stockage qui contiennent des métaux rares, coûteux et potentiellement générateurs de pollutions pernicieuses. D'autres technologies doivent donc encore être envisagées

 

Principe de la photosynthèse

La photosynthèse est un processus biochimique qui permet aux plantes de produire de la matière organique à partir du dioxyde de carbone (CO2) et de l'eau (H2O) grâce à la lumière du soleil. La matière organique produite sera par exemple du glucose (C6H12O6) qui conduira par polymérisation à la cellulose. Il faut alors six molécules de dioxyde de carbone et six molécules d'eau pour synthétiser une molécule de glucose, relâchant six molécules de dioxygène, grâce à l'énergie lumineuse.  

Le bilan global peut s'écrire de façon simplifié:

Cette équation globale masque en réalité un processus beaucoup plus complexe qui a a lieu dans les choloroplastes, un organite spécifique des plantes, au niveau des membranes des thylacoïdes où se situent les photosystèmes I et II et les cytochromes. Ce processus bioénergétique a pour fonction d'extraire l'énergie lumineuse et de la convertir en énergie chimique, laquelle est ensuite utilisée pour fabriquer la matière organique à partir d'eau et de dioxyde de carbone.

Schématiquement , on peut décomposer la photosynthése en deux groupes de réactions : 

Ces deux réactions (oxydation de l’eau et réduction du dioxyde de carbone) sont couplées dans un ensemble de réactions d’oxydoréduction faisant intervenir des transporteurs de protons (H+) ou d’électrons (e-) et les propriétés quantiques de la lumière :

   

D'ici la fin de ce siècle deux technologies en cours de développement pourraient nous aider à faire face au problème : la fusion nucléaire de l'hydrogène et le solaire spatial.

La fusion nucléaire consiste à faire fusionner des isotopes de l'hydrogène (deutérium et tritium) pour produire en un gaz neutre, l'hélium, en libérant une quantité faramineuse d'énergie : un kilo de matière produit autant d'énergie que 1000 tonnes de charbon. La fission nucléaire ne génère ni gaz à effet de serre ni déchet radioactif, un gros avantage par rapport au nucléaire actuel de fission de l'uranium. Actuellement 35 pays sont associés pour mettre au point cette technologie propre dans le cadre du projet Iter (le chemin en latin). Le site principal est à Cadarache en France. L'objectif est de rendre opérationnelle la fusion nucléaire à l'horizon 2060.

Le solaire spatial est une autre source d'énergie prometteuse à long terme. Le principe consiste à placer en orbite, à 36.000 km de la terre , une dizaine de km2 de panneaux solaires. L'énergie captée est envoyée à la Terre sous forme d'ondes électromagnétiques et les stations au sol convertissent ces ondes en électricité. A cette altitude, la centrale en orbite est constamment illuminée et donc le problème de l'intermittence ne se pose plus. Par ailleurs, l'absence d'atmosphère permet des rendements de conversion photovoltaïque bien supérieurs à ceux des panneaux terrestres. USA, Inde, Japon, Chine et Russie travaillent sur cette technologie et espèrent la voir déboucher concrètement aux alentours de 2050.

Enfin, une troisième voie gagne du crédit : la photosynthèse artificielle.

Au début les chercheurs sont partis de la première étape de la photosynthèse naturelle (voir encart ci-contre) celle de l'oxydation de l'eau en utilisant des catalyseurs métalliques pour dissocier les atomes de l'eau à l'aide d'un rayonnement lumineux. L'idée était de fabriquer ainsi de l'hydrogène susceptible d'être utilisé directement comme combustible ou de servir de vecteur d'énergie pour la production d'électricité dans une pile à combustible. Parmi les précurseur on peut citer Daniel Nocera, un chercheur du MIT ((Massachusetts Institute of Technology) qui présente en 2011, une "feuille artificielle" composée d’un assemblage de fines couches de différents métaux capables de catalyser la décomposition de l’eau sous l'effet de la lumière solaire. Les rendements obtenus, bien que comparables à ceux de la photosynthèse naturelle, étaient cependant encore bien trop faibles pour rendre économiquement viable une technologie utilisant des catalyseurs à base de métaux rares et coûteux. Les recherches se sont néanmoins poursuivies activement pour améliorer l'efficacité du procédé. Tout récemment, des chercheurs britanniques de l'Université de Cambridge, en collaboration avec une équipe japonaise de l'Université de Tokyo, ont annoncé avoir mis au point un nouveau photocatalyseur offrant un rendement nettement supérieur à celui de photosynthèse naturelle (1). A ce stade, le "fuel" produit est pour l'essentiel de l'acide formique, un produit utilisable soit comme combustible soit comme matière première pour la fabrication de l'hydrogène. Le photocatalyseur utilisé reste malgré tout très complexe à fabriquer et nécessite encore des métaux rares et onéreux. Pour éviter cet écueil, des chercheurs de l'Université d'Iéna en Allemagne, proposent une alternative en combinant des composés organiques photosensibles et des catalyseurs métalliques non-précieux. Le composé obtenu semble prometteur car il parvient en effet à générer de l'hydrogène gazeux quand il est soumis à un rayonnement lumineux en milieu aqueux (2). En France, des chercheurs innovants du CEA travaillent sur une photoelectrode qui repose sur une architecture hybride, basée sur un semi-conducteur interfacé avec un catalyseur moléculaire. L'ensemble ne renferme que des éléments retrouvés en quantité abondante dans la croûte terrestre et peut donc produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau avec l'électricité qu'il autoproduit (3). D'autres chercheurs du CEA et leurs partenaires ont conçu de leur côté une voie de photosynthèse artificielle originale, basée sur l'utilisation de nano-polymères semi-conducteurs pour photo-oxyder l'eau (4).

Une toute autre voie est aussi explorée en utilisant l’autre versant de la photosynthèse naturelle, la réduction du CO2. Elle consiste donc à s'inspirer de la nature pour capter le dioxyde de carbone de l'air et le faire réagir avec de l'eau pour produire des molécules carbonées (pétrole synthétique ou autres produits chimiques destinés aux usages les plus divers : médicaments, plastiques, etc.). Cette approche de la photosynthèse artificielle pourrait ainsi contribuer au contrôle du climat en régulant la teneur en gaz carbonique de l'atmosphère tout en ouvrant une voie royale à une transition énergétique : celle où des plantes artificielles transformeraient le CO2 en carburants durables grâce à la lumière du soleil.
Une équipe internationale coordonnée par la Collège de France, a par exemple démontré qu'il est possible de transformer le gaz carbonique en hydrocarbures avec un rendement comparable voire supérieur à celle réalisée par les plantes avec un dispositif relativement simple et peu couteux (5). La technologie imaginée par ces chercheurs consiste à accoupler une cellule photovoltaïque bon marché à perovskite (6) et une simple cellule électrochimique à base de cuivre. La cellule à perovskite capture l'énergie solaire comme le font les panneaux photovoltaïques et la transforme en électricité que la cellule électrochimique va utiliser pour la production d'hydrocarbures à partir du gaz carbonique et de l'eau. Le gros avantage des perovskites est de pouvoir être imprimées sur divers supports et d'éviter l'usage de métaux rares, présentant de surcroît des risques pour l'environnement.

L'énergie solaire reçue par la Terre est immense : 1070 milliards de gigawattheures soit environ 100.000 milliards de tonnes d’équivalent pétrole. La photosynthèse capte moins d'un millième de cette insolation mais cela suffit à fournir toute l'énergie de la biosphère, celle nécessaire à l'ensemble des organismes vivants sur Terre. La consommation énergétique mondiale des humains, toute démesurée qu’elle soit, ne représente qu'environ un dix millième de l’énergie reçue du soleil.

Si l'espèce humaine parvient à maîtriser la photosynthèse artificielle, il lui suffira d’exploiter une infime fraction de l'énergie reçue du soleil pour disposer alors d'une énergie naturelle, renouvelable, propre et à profusion. Les dépenses militaires mondiales s’élèvent à près de 2000 milliards de dollars par an. Il suffirait d’orienter ces énormes budgets de mort vers des budgets dédiés à l’intéret des vivants pour parvenir à coup sûr à ce résultat. Le progrès technologique va en effet bien plus vite qu’on ne le pense pour peu qu'on le veuille. Entre le premier saut de puce de l’avion des frères Wright en 1903 et le premier pas sur la Lune de Neil Alstrong en 1969, il ne s'est écoulé que 66 ans, une durée inférieure à celle qui nous sépare de la fin de ce siècle. Dans un monde qui se globalise, la priorité des dirigeants politiques devrait être la coopération pour traiter les problèmes qui ne peuvent se résoudre qu’à l’échelle de la planète.

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  1. Wang, Q., Warnan, J., Rodríguez-Jiménez, S. et al. Molecularly engineered photocatalyst sheet for scalable solar formate production from carbon dioxide and water. Nat Energy 5, 703–710 (2020).
  2. Daniel Costable et al., "1,7,9,10‐Tetrasubstituted PMIs Accessible through Decarboxylative Bromination: Synthesis, Characterization, Photophysical Studies, and Hydrogen Evolution Catalysis", Chemistry, A Europenan Journal, Volume27, Issue12, February 24, 2021, Pages 4081-4088.
  3. Communiqué du CEA, publié le 26 mai 2020, basé sur une publication de C. Tapia et al., " Achieving visible light-driven hydrogen evolution at positive bias with a hybrid copper–iron oxide|TiO2-cobaloxime photocathode" – Green chemistry, issue10, 2020
  4. Communiqué du 1du CEA publié le 13 août 2020, basé sur une publication de Jully Patel et al., "Visible Light-Driven Simultaneous Water Oxidation and Quinone Reduction by Nano-Structured Conjugated Polymer Without Cocatalysts ". Chem.Sci., issue 28, 2020. 
  5. Tran Ngoc Huan et al.,Low-cost high-efficiency system for solar-driven conversion of CO 2 to hydrocarbons . Proc Natl Acad Sci ., 2019 May 14;116(20):9735-9740.
  6. Prerovskite : sructure moléculaire particulière comparable à celle du titanate de calcium découverte en 1839 par le minéralogiste russe L. A. Perovski. Les cellules photovolataiques à structure de perovskite peuvent être aujourd'hui fabriquées avec des hybrides organométalliques à base de métaux courant : plomb, fer, etc.