La leçon des municipales

Seules 42% des personnes inscrites sur les listes électorales sont allées voter pour les municipales 2020. Cette abstention record ne remet pas en cause l'élection des maires mais elle relativise leur légitimité.

A Béziers, le médiatique Robert Ménard, réélu dès le premier tour, n'a reçu le soutien que de 29% des inscrits. A Sète, l'élection de l'indéboulonnable François Commeinhes ne repose que sur le vote de 24% des inscrits. C'est pire encore à Montpellier où Michaël Delafosse est élu en n'ayant rassemblé sur son nom que 15% des électeurs inscrits.

Au niveau national, si on inclut ceux qui ont voté blanc ou nul et si on prend en compte les quelques 9 millions de personnes qui, selon un rapport parlementaire, sont non ou mal-inscrits (*), ce sont en fait les trois quarts des français qui ne se sont pas exprimés. C'est la leçon principale à retenir de ce scrutin.

Cette désaffection, qui s'amplifie à chaque consultation, est avant tout le symptôme de la perte de confiance des français dans le personnel politique. Jusqu'à présent ce retrait des citoyens n'avait pour conséquence qu'un despotisme accru des élites. Aujourd'hui le refus de voter d'un nombre croissant de français prend une autre dimension. L'abstention massive devient un acte protestataire et une opposition susceptible de remettre en cause profondément le système politique actuel.

A ce jeu, tous les partis perdent. La République en Marche s'évapore sauf peut-être au Havre où Edouard Philippe sauve l'honneur. Le RN s'effondre, passant d'environ 1500 élus à moins de 1000. Seule la réussite de Louis Alliot à Perpignan lui permet de faire illusion. Si la droite sauve les apparences c'est uniquement grâce à l'ancrage dans les territoires de ses élus de terrain. Même la "vague verte", qui fait la une des journaux, n'est qu'une victoire en trompe l'œil. Ce sont les partis de gauche qui, pour sauver quelques meubles, se sont ralliés aux écologistes et ont ainsi assuré l'élection de candidats EELV.

Après le désespoir manifesté l'an dernier par les gilets jaunes et la crise sanitaire de cette année, les Français ont le sentiment qu'ils sont sur un bateau en perdition, sans capitaine ni équipage capable de les sauver. Ils n’attendent plus rien des politiciens qui ont colonisé le système et qui doivent humblement reconnaître leur incapacité à régler les problèmes qui sapent notre société.

Les Français se prennent à rêver d'un De Gaulle ou d'un Churchill. Ils ne veulent plus de politiques qui jouent les contrôleurs de gestion et les experts comptables sans en avoir les compétences. Ils veulent des politiques qui se recentrent sur les projets de société, sur  la refonte des règles du jeu, capables de fixer le cap au pays, d’être visionnaires et d’écouter les citoyens.

En 1789, c’est ensemble que le bas clergé, la petite noblesse et le peuple ont fait triompher les idées des Lumières. Aujourd'hui les Français sont encore prêts à se mobiliser pour des valeurs mais pas pour un parti politique, quel qu'il soit.

Depuis des siècles, partout en Europe,  les causes profondes des révoltes sont toujours les mêmes : un État avec des caisses vides, un endettement abyssal, une fiscalité  écrasante, des inégalités et une insécurité croissantes, une jeunesse sans perspective d’avenir et des élites qui cherchent à faire prendre des vessies pour des lanternes quand eux-mêmes jouissent de privilèges et de prébendes.

La confiance est le socle de la démocratie. Si cette confiance vient à disparaître, un processus insurrectionnel peut s'enclencher. Les municipales de 2020 sont le signe que la cocotte-minute commence de siffler.

Jacques Carles
co-auteur avec Michel Granger de L'Apogée, l'Avenir en Perspective
 


(*) personnes inscrites dans un endroit mais vivant ailleurs