À la croisée de l’art et du vivant, Hilkka Silva façonne des œuvres et des plats à partir de ce que la nature lui offre. Sarments de vigne, pigments de terre, plantes sauvages ou feuilles oubliées deviennent les ingrédients d’un univers sensible et poétique. Rencontre avec une artiste qui vit, crée et cuisine en pleine nature.
Au cœur de la vallée de l’Hérault, à Saint-Jean-de-Fos, Hilkka Silva ne fait pas que vivre entourée de nature : elle l’habite, elle la transforme, elle la cuisine. Artiste autodidacte, cuisinière inventive et traqueuse de plantes sauvages, elle compose un univers singulier où la nature n’est jamais simple décor mais matière vivante, brute et précieuse.
Née au Sri Lanka, elle passe son enfance à Paris, loin des paysages tropicaux de ses premières années. Ce n’est qu’adolescente, lors d’un séjour dans une école en pleine campagne anglaise, que le choc survient : "Ça m’a bouleversée. Je redécouvrais le vert autour de moi. Depuis, je ne veux plus vivre en ville. J’ai besoin d’être entourée de nature."
C’est en Angleterre qu’elle croise pour la première fois le land art, notamment à travers le travail d’Andy Goldsworthy. "L’idée d’utiliser la fibre végétale, ça m’a parlé tout de suite", raconte-t-elle. Une graine est plantée.
Sculpter les paysages
Installée depuis 2002 dans l’Hérault, elle commence à travailler les sarments de vigne, omniprésents autour de chez elle. "Je voyais ces tiges brûlées chaque année, et je trouvais ça dommage. Alors j’ai commencé à en faire des structures." Le geste est simple, presque archaïque. Des dômes, des arches, des sphères, une Tour Elffelle (oui, Elffelle, comme les elfes), tout droit sortie d’un conte végétal, voient le jour, sans clou ni armature, juste en tension avec la terre.
Elle peint aussi, avec les ocres et les terres locales, qu’elle utilise brutes, avec cailloux, fibres, sable : "Je ne veux pas transformer la matière. Mon questionnement, c’est : jusqu’où peut-on aller avec la matière telle qu’elle est ?"
Murmuration des Pénitents
Dans ses œuvres, l’ancrage au sol est vital. "J’avais besoin d’un sol meuble pour m’appuyer. Le sol devient mon support. Il me permet de m’ancrer, littéralement." Et peu à peu, le végétal s’invite aussi en intérieur. À la chapelle des Pénitents à Aniane, elle conçoit une installation monumentale où la nature semble pénétrer le bâtiment. "J’ai voulu représenter la végétation qui entre par une lucarne. Et en face, il y avait une autre œuvre, comme un vortex en boules de serments de vignes illuminé. La lumière a projeté l’ombre d’un oiseau. C’était pas prévu. C’était comme si la nature reprenait ses droits, même dans ce monde de pierre."
Cueillir, cuisiner et partager
Mais la nature ne nourrit pas que sa pratique artistique. Elle inspire aussi sa cuisine. "Le lien avec la cuisine est venu presque naturellement. J’ai découvert des plantes comestibles autour de chez moi, comme la salsifis ou le fenouil sauvage." Avec deux amies, Leah Searle, naturopathe et Isabelle Duisit, artiste-potière, elles créent Les Curieuses Voraces, une association où l’on cueille, goûte, échange, cuisine.
"On s’est rendu compte que la majorité des plantes qu’on piétine sont comestibles. Il y a une vraie richesse qu’on ignore." De là, naissent des buffets sauvages lors de ses expositions : crème de tournesol, ketchup de coquelicot, cacao d’écorce de pin ou encore asperges d’asphodèle.
Aujourd’hui, Hilkka a même lancé une activité de traiteur. Mais là encore, pas question de faire “comme tout le monde”. "Je ne veux pas faire les mêmes plats à chaque fois. J’invente, j’expérimente. Comme en art. J’ai même essayé de faire des makis avec une plante amère qui me faisait penser aux algues."
Un art du vivant
Ce qui guide Hilkka, c’est cette volonté de redonner de la valeur à ce qui semble insignifiant : un galet, une feuille de magnolia écrasée, une herbe sèche. "Je décore les feuilles, je les rends précieuses. Tout est précieux dès lors qu’on y pose un regard attentif."
Son art, comme sa cuisine, sont traversés par une même question : sommes-nous encore connectés au vivant ? "Je vois beaucoup de destruction autour de moi. Et même moi, je dois lutter pour rester connectée. C’est un message que je me fais à moi-même, et que je transmets aux autres."
Elle conclut : "Le vert me nourrit. Il m’apaise. Il me ramène à l’essentiel. Ce n’est pas juste esthétique, c’est vital."
A ne pas manquer : Balade nocturne avec les oeuvres d'Hilkka Silva
Le samedi 26 avril, rendez-vous au Jardin Antique Méditerranéen de Balaruc-les-Bains pour une balade nocturne au cœur des installations monumentales de Hilkka Silva. Une occasion unique de découvrir ses sculptures végétales sous un autre jour – ou plutôt, sous une autre lumière.
Juliette Amey
Pour admirer le travail de l'artiste, rendez-vous sur sa page Instagram : hilkkasarts
(Photo ©Djamel Hamdad et Nelly Larkin)