Originaire de Sète, Hélène Cazes est une artiste pluridisciplinaire de 58 ans. Photographe, sculptrice, performeuse, elle expose actuellement Water Vision, une série photographique née dans le prolongement de son travail sur la démolition des Halles Laissac à Montpellier. Rencontre avec une femme qui fait de chaque chaos un point de renaissance.
« J'ai toujours eu une âme d'artiste. » Chez Hélène Cazes, l’art a germé très tôt, porté par un environnement familial sensible à la beauté. Sa mère l’inscrit dès l’enfance au conservatoire de Sète pour y apprendre le piano et la danse. « Les premiers arts que j'ai pratiqués sont le piano au conservatoire de Sète duquel j'ai eu un premier prix et la danse dans une académie.»
La photographie, elle y entre un peu par hasard, via un petit Kodak confié par ses grands-parents qui aimaient être pris en photo pendant les sorties et tablées familiales. Puis plus tard, elle commence à s'acheter des appareils jetables pour photographier ses camarades, ses séjours de colonies de vacances.
L’appel artistique, longtemps différé
Le parcours d’Hélène Cazes n’a rien de linéaire. Jeune fille au pair à Londres, hôtesse de l’air, mère de famille… elle a longtemps laissé l’art en filigrane.
« J'ai eu plusieurs métiers. Je suis partie à Londres à 20 ans. Il y a eu des synchronicités. Je suis arrivée dans une famille en tant que jeune fille au pair, où il y avait un photographe français et une maquilleuse professionnelle. Et au même moment, un autre photographe anglais me repérait pour être modèle de mode. C'était un paradoxe. » Puis, pendant ses années de voyages, son capteur d'images ne la quitte jamais. « La première chose que je mettais dans mes bagages, c'était mon appareil photo. »
Le chaos comme matrice
« C’est dans l’errance que j’ai retrouvé mon chemin. » En 2018, elle démissionne d’un emploi alimentaire, traverse une période de flottement, et tombe par hasard sur la démolition de l’ancienne piscine de l'EAI du parc Montcalm, à Montpellier. Un choc visuel et existentiel.
« J'étais fascinée par ces pelles mécaniques, ces mâchoires qui soulevaient la tôle et le béton dans les airs au milieu des arbres centenaires. Un flot d'apparition aux tableaux surréalistes. Les matériaux dansaient dans le ciel avec la légèreté des plumes. »
Puis vient la démolition du parking des Halles Laissac. Hélène s’y faufile de façon clandestine, sans autorisation grâce à des complices. Elle s'immerge dans ce chantier et s’y révèle. « Je peux dire que je suis née en tant qu'artiste à cette période-là. » Ce chantier devient le point de départ de son œuvre fondatrice : L’art du chaos, processus de naissance inversée.
Une vision esthétique de la démolition
Ce qui fascine Hélène, ce sont les fragments, les éclats, les interstices qui laissent passer la lumière. « La fragmentation éclaire les zones d'ombre, libère des espaces. Pour ma part, la démolition est une régénération. » Elle expose ses premières images du chantier au Gazette Café, puis la mairie de Montpellier lui confie la mission de documenter la reconstruction des Halles. Deux de ses visuels sont imprimés sur des palissades de chantier. « C'était ma première exposition dans l’espace public ! »
Mais Hélène va au-delà des captations photographiques. Elle danse, sculpte, performe, chante. « Je me suis dit : mais comment transcender le chaos ?! » Sa réponse est « Par la danse ! Le mouvement de la vie ! S'extirper du Chaos par la danse, faire dialoguer les arts », c'est son message. Elle réalise la scénographie d'une performance, décide de peindre son corps pour « Interpréter la danse du Chaos » en collaborant avec une body-painter (peinture corporelle), un artiste-scénariste pour filmer et faire le montage de sa performance en un court métrage pendant lequel elle joue une musique d'improvisation au piano dans la rue. « Cette création m'est apparue comme une fulgurance quand j'étais en voiture, l'évidence de rassembler les arts en une création intuitive. Il n'y avait rien de prémédité. Je me suis reliée à l'instant présent, à l'essentiel pour créer. »
Water Vision : de l'éclat du béton à l'éclat de l'eau
La série Water Vision naît dans le prolongement du chaos, dans la fragmentation du béton à l'éclat aquatique. « L’eau est mon élément. Sa fluidité me remet d’aplomb. C’est ma dopamine. » Elle photographie la mer méditerranée, les reflets, les bleus. Son langage esthétique se déploie comme souvent dans le mouvement de la matière. « Avec la photographie, je vais dans le monde. La terre me ramène au-dedans. Je suis dans l'espace qui relie les deux. L a terre et la photographie sont pour moi comme deux souffles artistiques complémentaires. »
Son travail aquatique est organique, il parle de la matrice du monde et de celle dans laquelle l'humanité prend naissance. Pour Hélène, l'eau est sacrée ! D'ailleurs, WATER VISION a été exposé en tout premier lieu au Prieuré de Pont-Saint-Esprit en 2023 pour les Journées Européennes du Patrimoine. Une évidence ! « Je pense que l’eau qui entoure notre Terre est la mère de la planète. Malgré moi, les captations de «WATER VISION» incarnent l’humanité ainsi que des formes animales qui constitue notre Terre. Pour Hélène, dans l’éclat des matières qui libère les espaces, c’est là que tout reprend vie ! Et pour moi, c’est un message d’espoir pour l’humanité. »
Aujourd’hui, elle imagine une grande exposition immersive où L’Art du chaos et Water Vision pourraient dialoguer ensemble. « Ces deux projets sont intrinsèquement liés, reliés aux vision de fulgurance ! »Elle rêve d’un lieu qui pourrait accueillir ses 2 démarches artistiques dans leur densité.
Une artiste née dans l'éclat du béton
Hélène Cazes est pour ainsi dire « autodidacte ». Elle suit quelques cours du soir en photographie à l’école d’Arles et se forme à Bruxelles au coulage de porcelaine pour la sculpture. Mais avant toute chose elle expérimente sur le vif, dans la rue, dans les chantiers, dans l’instinct. « Je photographie pour capturer le monde et l'instant. » C’est par cette approche et dans cette liberté qu’est née une œuvre profondément cohérente. Une œuvre qui dit la violence du monde, mais aussi sa vitalité et sa beauté possible. « Dans l’éclat des matières, il y a de la joie. Même si j’ai photographié la démolition, je me suis aperçue qu’un chaos de démolition était vivant comme les fulgurances de WATER VISION ! »
Informations pratiques sur l'exposition Water vision (entrée libre)
- Lieu : Caves Notre Dame, 2 rue Frédéric Mistral, 34200 Sète
(Photo et vidéo ©Hélène Cazes)
Juliette Amey