Comme le raconte Antoine Iniguez, passionné d’histoire et de patrimoine au sein de la Guilde 2 Bessan, beaucoup de villages languedociens possèdent un animal totémique. Bessan a le sien : l’âne.
Pour la fête locale de la Saint-Laurent, une maquette de bois, de tissus et de fleurs est portée par quatre jeunes et vigoureux bessanais.
Guidés par le « meneur » au fouet claquant et au son d’une musique répétitive qui résonne au plus profond de chaque « festaïre », l’animal danse, saute et rue lors d’une déambulation dans le village et sur la place de la Promenade lors d’une réception très suivie par la population.
Mais la danse de l’âne est rattachée à une tradition orale, tirée d’une légende, ou plutôt, de plusieurs légendes.
Un historien local anonyme parle en 1879 de l’âne qui honore celui de l’étable de Bethléem et aussi de celui qui avait servi à Jésus pour son entrée dans Jérusalem.
Une rumeur probablement alimentée par quelques habitants de Gignac, raconte aussi qu’en 730 un âne, telles les oies du Capitole, a prévenu les habitants du village de l’arrivée des Sarrasins. Ces Sarrasins qui, pour se venger, auraient précipité l’animal dans l’Hérault où il a suivi le courant jusqu’à Bessan, où il a été accueilli à bras ouverts.
Il existe encore une autre légende datant du moyen âge: Une fois l’an, pour se moquer de l’autorité religieuse, les populations élisent le plus fou du village : le prince ou roi des fous, que l’on promène sur un âne, dans les rues, avant de pénétrer dans l’église.
Une fête où le fou prend la place du prêtre, soutenu par les braiments du peuple qui imite les cris de l’animal. Après quoi, tous se précipitent dans le chœur où sont entassés vins et nourriture. On peut dès lors imaginer que le clergé, ne pouvant empêcher cette fête païenne, a au moins réussi à empêcher l’entrée de l’animal vivant, et pourquoi pas remplacé par un totem.
Mais les anciens bessanais parlent eux plus sérieusement, d’un marché aux ânes, d’une coutume qui veut que l’on décore le plus beau de ces quadrupèdes et qu’on le promène dans les rues du village et de l’âne qui s’échappe une année pour entrer dans l’église.
Si les textes ne précisent pas de marché aux ânes à Bessan, ils mentionnent cependant la foire de la Saint-Laurent créée ou autorisée par le roi François Ier en 1533. Une foire où sont probablement vendus des ânes, utiles aux paysans mais aussi aux bergers.
Effectivement peu de personnes savent que cet animal entêté est un bon gardien de troupeau.
Depuis longtemps, les éleveurs d’ovins entraînent spécialement des ânes « bergers » pour protéger leur troupeau contre des prédateurs comme les coyotes, les renards et les chiens errants.
Ils exploitent son instinct grégaire naturel qui le porte à s’attacher aux ovins par la technique d’imprégnation, et à son agressivité innée à l’encontre des prédateurs.
De plus, l’âne a un besoin d’entretien minime et a une bonne longévité. Enfin, il est capable de manger les feuilles des cardères ou chardons et participe à l’intérêt environnemental du pastoralisme. Cette utilisation ancestrale explique les nombreux contes qui font intervenir l’âne, mais aussi le loup, comme prédateur des ovins.
Et puis, rappelons-nous de la fiancée que l’on amène à son mariage à dos d’âne décoré ?
Quelle que soit son origine, sa légende, l’âne est devenu l’emblème du village, son animal totémique. Un emblème bien ancré dans le cœur des bessanais. La preuve : malgré l’annulation de la fête locale pour des raisons sanitaires, le quadrupède fera une apparition publique car, avant toute chose, les légendes de l’âne sont aussi têtues que le totem lui-même !