Paul Valéry, au crépuscule : la lumière d’un esprit libre dans l’ombre de la guerre

Depuis 5 mai jusqu'au 11 octobre 2025, le musée Paul Valéry de Sète dévoile une exposition exceptionnelle : Paul Valéry, au crépuscule (1939–1945), consacrée aux dernières années de vie d’un écrivain majeur, à la fois figure intellectuelle de la nation et homme bouleversé par les drames de son temps.

                                                                                 

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Paul Valéry a 68 ans. Loin de s’effacer, sa voix demeure forte et singulière. Sollicité par Jean Giraudoux, il prononce à la radio un discours nuancé où il distingue le peuple allemand de son tyran, une prise de position courageuse, qui lui vaut quelques critiques. Valéry, fidèle à ce qu’il appelle « la cause de l’esprit », refuse tout compromis avec le régime de Vichy. « Un peuple asservi ne réagit pas comme un peuple libre », rappelait-il.

Son opposition se manifeste dans les actes : il s’oppose à l’Académie française lorsqu’elle souhaite féliciter Pétain, et rend un vibrant hommage à Henri Bergson en 1941, saluant en lui une figure majeure de la pensée alors même que le philosophe est ignoré par la presse de Vichy en raison de ses origines juives.

Mais si le penseur résiste, l’homme souffre. Réfugié à Dinard avec sa femme, inquiet pour ses enfants mobilisés et sa fille enceinte, Valéry révèle une immense vulnérabilité dans ses lettres. Certaines sont d’une humanité poignante, comme ce mot d’Agathe, laissé au crayon sur une table, l’implorant de la rejoindre.

La dernière muse : Jeanne Loviton, passion et désillusion

À partir de 1938, Jeanne Loviton, éditrice et écrivaine sous le nom de Jean Voilier, devient la muse de Valéry. Leur relation, passionnée et tourmentée, insuffle à l’auteur une énergie créatrice inattendue. Il lui adresse poèmes érotiques et lettres brûlantes, aujourd’hui réunis sous le titre Corona. Comme « un coup de hache », vivra-t-il leur rupture en 1945, lorsque Jeanne épousera Jean Denoël, éditeur compromis dans la Collaboration.

Cette blessure s’ajoute à la maladie. Affaibli, Valéry s’éteint le 20 juillet 1945, quelques semaines après avoir vu la France libérée.

Un engagement esthétique et intellectuel jusqu’au bout

Dans ses dernières années, Valéry mêle texte et image avec une intensité rare. Il illustre ses propres ouvrages, Mélange (1939), L’Album de Monsieur Teste (réédité en 1945 avec ses eaux-fortes) et traduit les Bucoliques de Virgile dans une démarche où la fidélité au texte rencontre une recherche de beauté formelle.

Sa pièce inachevée, Mon Faust, entamée dans un élan quasi fiévreux, révèle un homme qui doute, qui interroge l’obsession de l’esprit au détriment de l’amour. L’exposition dévoile des épreuves rares, des dessins, et ce projet habité par une tension intérieure entre idéal intellectuel et réalité émotionnelle.

Respirer à nouveau : Valéry et la Libération

L’un des documents les plus émouvants présentés dans l’exposition est une lettre adressée à sa fille Agathe en août 1944, dans laquelle Valéry raconte la Libération de Paris. Ce moment fait naître deux textes puissants : Respirer (publié dans Le Figaro) et Un rien d’événement, témoins d’un espoir retrouvé. « La vie ne chante plus », avait-il écrit en 1939. En 1944, il écrivait enfin : « Respirer ».

Un hommage national, un héritage vivant

Le 27 juillet 1945, Paul Valéry reçoit un hommage national. Son cercueil, exposé à Paris sur l’esplanade du Trocadéro, est salué par le général de Gaulle, des ministres, des académiciens et des soldats. Il est ensuite inhumé dans sa ville natale Sète, au cimetière marin, lieu qu’il avait lui-même célébré dans l’un de ses poèmes les plus célèbres.

Le musée présente des documents inédits : discours officiels, plan du cortège funèbre, lettres bouleversantes. L’exposition montre à quel point Valéry, souvent figé dans une image d’académicien austère, était aussi un homme vibrant, inquiet, aimant, passionné.

Un parcours sensible et savamment orchestré

Conçue par Stéphane Tarroux, directeur du musée Paul Valéry, l’exposition propose une mise en scène immersive : extraits sonores, correspondances manuscrites, vidéos inédites, ouvrages rares. Pour la première fois, certaines pièces, comme les gravures de L’Album de Monsieur Teste ou la traduction illustrée des Bucoliques, sont montrées au public après des décennies d’oubli. « Nous voulions faire entendre toutes les voix de Valéry », explique le directeur, « l’homme public et le père inquiet, le poète amoureux et l’intellectuel engagé. »

 Infos pratiques

- Exposition jusqu’au 11 octobre 2025

- Musée Paul Valéry – 148 rue François Desnoyer, Sète

Paul Valéry, au crépuscule, est bien plus qu’une exposition biographique. C’est un hommage à la lumière d’un homme restée intacte au cœur de la nuit, une plongée dans les derniers feux d’un esprit libre et profondément humain.

Juliette Amey