La crise agricole en neuf questions

Revenu des agriculteurs, loi Égalim, prix des produits agricoles, taxation du gazole, aides européennes de la politique agricole commune (PAC), pacte vert européen, accords de libre-échange signés par l'Union européenne, importations de produits agricoles... En neuf questions, Vie-publique fait le point sur la crise agricole en France.

Vaches, Bovins, Cultiver, Ciel

PAR VIE PUBLIQUE

En 30 ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40% en France en euros constants. En même temps, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 60%, de sorte que le résultat net par actif agricole non salarié a augmenté.

En 2021, en moyenne, les non-salariés imposés au régime réel gagnent 1 910 euros par mois avec leur activité (+11% par rapport à 2020). Pour 15% d'entre eux, le revenu est nul ou déficitaire, le plus souvent dans la production d’ovins, caprins, équidés et autres animaux ainsi que dans l’arboriculture.

Pour les ménages agricoles, le niveau de vie médian (22 200 euros en 2018) est comparable à celui de l’ensemble des ménages ayant des revenus d’activité. Cependant, les disparités sont plus fortes au sein des ménages agricoles qui sont davantage touchés par la pauvreté monétaire (18% contre 13%).

La hausse globale des prix agricoles depuis 2020 a modifié la donne et a augmenté la rentabilité  : le résultat courant avant impôts par équivalent temps plein (net des charges et amortissements), a progressé entre 2021 et 2022 de 28,2% à 56 014 euros, et atteint des niveaux historiquement haut.

L’activité agricole ne fait pourtant pas vivre les ménages agricoles : seul un tiers de leurs ressources en provient. L’essentiel des ressources est issu d’autres activités, notamment du revenu du conjoint. 20% proviennent du patrimoine (notamment du fermage).

Géographiquement, les revenus sont plus élevés au nord de la France et plus faibles au sud et au centre. Ceci s’explique par les activités agricoles : les revenus sont plus faibles dans l’élevage, notamment de bovins pour la viande. Les revenus sont plus élevés dans les territoires des grandes cultures, viticoles et d’élevage porcin.

Les agriculteurs, défis et enjeux : trois questions à François Purseigle

Vidéo

2 février 2024

La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous , dite "loi Agriculture et alimentation" ou "loi Égalim 1" fait suite aux États généraux de l’alimentation (2017). Cette loi vise à :

  • assurer aux agriculteurs un revenu décent. Elle relève le seuil de revente à perte de 10% et encadre les promotions sur les produits alimentaires ainsi que les négociations tarifaires entre distributeurs et fournisseurs ;
  • améliorer les conditions sanitaires et environnementales de production (interdiction des néonicotinoïdes pour protéger les abeilles, suspension du dioxyde de titane dans l’alimentation…) ;
  • renforcer le bien-être animal (extension du délit de maltraitance animale, doublement des sanctions pénales encourues, désignation d’un responsable de la condition animale dans chaque abattoir…) ;
  • favoriser une alimentation saine, sûre et durable (obligation pour la restauration collective de s’approvisionner avec au moins 50% de produits de qualité ou locaux à partir du 1er janvier 2022…) ;
  • réduire l’utilisation du plastique (touillettes et pailles en plastique interdites dès 2020…).

Ce texte a été complété par :

Agriculture et alimentation : l'essentiel de la loi Égalim

Dossier

27 mai 2019

Dans le cadre de l'ancienne politique agricole commune (PAC), un mécanisme avait notamment été instauré pour inciter les agriculteurs à produire davantage, grâce à la garantie d'un prix d'achat fixe, défini au niveau communautaire. Ce système a engendré une surproduction, pesant sur le budget de la Communauté européenne. Il a progressivement été abandonné à partir de 1992.

Aujourd’hui, la fixation des prix est du ressort des acteurs privés. C’est un processus complexe qui dépend du type de produit.

Ainsi, pour la viande de porc, le prix du porc est établi au Marché du Porc Breton (MPB), à Plérin dans les Côtes-d’Armor. Les éleveurs vendent aux enchères leurs marchandises aux abatteurs qui les revendent ensuite à la grande distribution. Les prix des transactions qui se font en dehors de ce marché sont fixés à partir du cours du MPB, qui sert de référence au niveau national. 

Pour le lait, les producteurs travaillent avec des entreprises sous la forme de contrats d’une durée minimale de cinq ans. Cette contractualisation entre les producteurs de lait et les acheteurs a été rendue obligatoire en 2011 avec la suppression du régime des quotas laitiers dans l’Union européenne.

La dérégulation des marchés agricoles a entraîné une plus grande volatilité des prix. Ceux-ci peuvent fluctuer en fonction de l'offre et de la demande et de facteurs externes tels que les conditions météorologiques et les chocs économiques

Les prix agricoles à la production (IPPAP), qui représentent les prix en sortie de ferme, se sont accrus d’environ 23% en 2022 par rapport à 2021, en raison de la hausse des coûts des matières premières agricoles et de l’énergie dans le contexte de la guerre en Ukraine. Cette augmentation a largement contribué à la hausse de l'inflation alimentaire.

La grande instabilité des marchés renforce la nécessité de sécuriser les revenus des agriculteurs. Pour rééquilibrer les rapports de force lors des négociations commerciales avec les industriels, la loi Egalim de 2018 impose de partir du coût de production des agriculteurs pour fixer le prix auquel seront vendus les produits d'origine agricole. Les organisations professionnelles doivent établir des "indicateurs de référence" pour ces coûts de production. Par ailleurs, la loi Egalim 2 acte le principe de la non-négociabilité de la matière première agricole dans les négociations commerciales. 

Jusqu’au 1er janvier 2024, les agriculteurs et les entreprises de travaux agricoles bénéficiaient d’une niche fiscale sur certains carburants se traduisant par le remboursement d’une partie conséquente de la taxe intérieure sur les produits énergétique (TICPE) qui s’applique au gazole non routier (GNR) et au gaz de pétrole liquéfié (GPL)

La taxe actuellement appliquée est de 18,82 centimes d’euros sur le litre de GNR dont 14,96 centimes d’euros sont remboursés à l’exploitant agricole dans l’année qui suit. Par comparaison, la TICPE appliquée sur le litre de gazole routier est d’environ 60 centimes d’euros.

Une évolution du dispositif d’aide fiscale prévoit une augmentation régulière de la taxe sur ces carburants de 6 centimes par an à partir de janvier 2024, ainsi qu’une baisse progressive du taux de remboursement fiscal, jusqu’à son arrêt total. Le reste à charge de cette taxe pour les exploitants agricoles devrait représenter 23,81 centimes par litre en 2030 contre de 3,86 centimes actuellement.

Des mesures compensatoires sont actuellement en discussion : une anticipation sur les remboursements, la création d’un "GNR vert" à base de biocarburants, un indice carburant sur les factures...

Dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), deux types d’aides sont versées aux agriculteurs des pays de l’Union européenne (UE).

Les aides directes (ou aides au revenu), visant à compenser la baisse des prix garantis et le gel partiel des terres pour éviter la surproduction, représentent aujourd'hui la plus grande partie des subventions. 
Les aides découplées (liées à la surface de l’exploitation et non pas à la production) sont versées directement aux agriculteurs :

  • aide de base au revenu versée en fonction de droits à paiement de base activés sur des surfaces agricoles ; 
  • aide complémentaire aux jeunes agriculteurs payée en complément du paiement de base, sur les premiers hectares, pour les exploitations contrôlées par un jeune agriculteur ;
  • aide complémentaire redistributive (soutien aux petites et moyennes exploitations) ;
  • éco-régime versé aux agriculteurs qui adoptent des pratiques favorables à l’environnement (diversification, agriculture biologique, certification environnementale, infrastructures agroécologiques…).

Les aides couplées sont liées à la production de certains produits : bovins de plus de 16 mois, ovins, veaux sous la mère, blé dur, fruits transformés (prunes d’Ente, poires Williams, pêches Pavies, cerises Bigarreaux, tomates d’industrie), par exemple.

Les aides indirectes portent sur le développement rural. Elles regroupent quatre principaux dispositifs :

  • l’indemnité compensatoire de handicap nature ;
  • les mesures agroenvironnementales et climatiques ;
  • la dotation pour les jeunes agriculteurs ;
  • le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles.

Qu'est-ce que la politique agricole commune (PAC) ?

Fiche thématique

31 mars 2021

La feuille de route "De la ferme à la table" ("Farm to Fork") est un dispositif clé du pacte vert pour l'Europe, dont l'objectif est la neutralité climatique dès 2050. Dans ce cadre, la stratégie "De la ferme à la table" vise à rendre les systèmes alimentaires équitables, sains et respectueux de l'environnement.
La stratégie "De la ferme à la table" a pour objectifs :

  • un impact environnemental neutre ou positif ;
  • un impact sur le changement climatique (atténuation et adaptation à ses impacts) ;
  • une inversion de la perte de biodiversité ;
  • la sécurité alimentaire grâce à des aliments sains, nutritifs et durables ;
  • le caractère abordable des denrées alimentaires et des rendements économiques plus équitables ;
  • la compétitivité du secteur de l'approvisionnement européen et la promotion du commerce équitable ;
  • une proposition de cadre législatif européen pour des systèmes alimentaires durables.

La stratégie comporte des initiatives réglementaires et non réglementaires, avec pour outils essentiels la politique agricole commune (PAC) et la politique commune de la pêche (PCP).

Une proposition de cadre législatif pour des systèmes alimentaires durables sera bientôt présentée.

La Commission européenne, dans le cadre de cette stratégie, doit élaborer un plan pour assurer l'approvisionnement alimentaire mondial et la sécurité alimentaire.

Selon le Parlement européen, la stratégie "De la ferme à la table" requiert :

  • des objectifs contraignants de réduction de l'utilisation des pesticides ;
  • le réexamen des normes en matière de bien-être animal ;
  • davantage de terres pour l'agriculture biologique ;
  • une garantie pour les agriculteurs de recevoir une part équitable des bénéfices provenant d'une production durable des aliments.

Pacte vert et paquet climat : l'UE vise la neutralité climatique dès 2050

Eclairage

26 août 2021

Selon un rapport de l'Assemblée nationale de novembre 2023, l’Union européenne est signataire de 42 accords de libre échange (ALE) regroupant 74 États partenaires qui sont répartis sur l’ensemble des cinq continents. Ce réseau d’accords de libre-échange constitue une part importante de la politique commerciale européenne.

Le réseau a grandi durant la dernière décennie via la conclusion d’accords avec la Colombie et le Pérou (2013), la Corée du Sud (entrée en vigueur 2015), puis l’Équateur (2017), le Canada (entrée en vigueur partielle depuis 2017), Singapour (2019), le Japon (2019) et le Vietnam (2020). L’UE est en train de négocier de nouveaux accords, plus particulièrement avec  l’Australie mais aussi avec le Marché commun du Sud (Mercosur) qui comprend l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. L’accord avec la Nouvelle-Zélande, conclu en 2022, entrera en vigueur en 2024.

La politique européenne n’est pas guidée uniquement par des considérations économiques. L’Union européenne souhaite aussi faire prévaloir ses normes à travers le monde. Le traité conclu avec la Nouvelle Zélande, par exemple, inclut, pour la première fois, des règles environnementales et sociales mais aussi les normes de travail de l'Organisation international du travail (OIT), la protection de la vie marine ou encore l'égalité femmes-hommes. L’UE s’emploie également, par le biais de sa politique commerciale, à renforcer son autonomie stratégique en sécurisant notamment les chaînes de production mondiales. 

La conclusion d’accords de libre-échange de l’Union européenne avec des pays ou des régions tiers – en particulier avec des puissances agricoles comme le Canada ou le Mexique – conduit à importer une grande quantité de produits vers les États membres de l’UE. La principale difficulté pour le monde agricole vient du fait que, si certaines filières sont structurellement plutôt bénéficiaires du commerce international (secteur des vins et spiritueux, filière laitière), d’autres filières sortent affaiblies du commerce international comme le secteur de la viande notamment. Selon le rapport de l'Assemblée nationale de novembre 2023, les syndicats agricoles notent l'absence de contrôle sur le respect des clauses de réciprocité ("clauses miroirs"). Hors UE, dans certaines situations, les animaux sont par exemple élevés dans des parcs d'engraissement où ils sont traités avec des "antibiotiques interdits dans l'Union". 

L'accord commercial UE-Mercosur en cinq questions

Questions-réponses

28 juin 2023

Selon le Haut-Commissariat au plan, les importations agricoles et agroalimentaires de la France représentent environ 20% de l’alimentation nationale et proviennent essentiellement des pays de l’Union européenne. Elles ont doublé entre 2000 et 2019. Les taux d'importation varient selon les denrées : 

  • près de 50% des fruits et légumes (contre environ un tiers il y a 20 ans) ;
  • 34% de la consommation intérieure de volailles en 2017 (contre 13% en 2000) ;
  • 25% de sa consommation de porc, notamment des jambons bio depuis l’Espagne, pour répondre aux habitudes alimentaires des Français.

Dans le secteur des produits laitiers, la valeur des importations a été multipliée par deux entre 2005 et 2017, compte tenu de l’augmentation des importations de fromages et de beurre.

Cela peut avoir des conséquences sur la sécurité sanitaire : comme le souligne un rapport du Sénat de 2019, entre 8 et 12% des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production (essentiellement à cause de l’emploi de pesticides).

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette perte de compétitivité de la France :

  • un "dumping" social très important organisé par leurs principaux concurrents européens dans le but de rogner leurs parts de marché ;
  • une tendance à la surrèglementation qui se manifeste en France par des surtranspositions que ne réalisent pas d’autres pays européens ;
  • des fragilités structurelles dans certaines filières ;
  • certains choix de spécialisation, portés vers l’alimentation haut de gamme.

La France est encore une puissance agricole importante, mais sa position internationale s’effrite depuis 20 ans. En 2022, elle se maintient au sixième rang des exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires. À la fin des années 1990, la France était encore deuxième exportateur mondial. De 1990 à 2022, sa part de marché aux exportations a reculé (de 11% à 4,5%). Les Pays-Bas, l’Allemagne, le Brésil, la Chine et les États-Unis se positionnent devant la France.

L’évolution de l’excédent commercial agroalimentaire ne traduit pas cette érosion. Sur 20 ans, il est même assez stable : en 2022, il atteint 10,3 milliards d’euros (9 milliards en 2002 avec un pic de 11 milliards en 2011). Mais, cette performance s’explique essentiellement par la récente hausse des prix sur les marchés internationaux plus rapide que les baisses des volumes exportés, ce qui cache la perte de compétitivité et la baisse des volumes de la filière française. En même temps, la France importe aujourd’hui plus de deux fois plus de denrées alimentaires qu’en 2000.

Le secteur le plus dynamique demeure la filière vins et spiritueux. La France est premier exportateur mondial et y enregistre un excédent commercial de près de 15 milliards d’euros en 2022. En revanche, dans les autres produits transformés et dans les produits bruts, à l’exception des céréales, les performances s’inscrivent en baisse depuis le début des années 2000.