Le Printemps de la Poésie, avec Musc'art et un poète frontignanais par trop méconnu: Joseph Teyssier

 
                               Joseph Teyssier.  
Existe-t-il sur Frontignan un écrivain plus discret que Joseph Teyssier ? Sans doute pas. Sa simplicité et sa discrétion sont toutes naturelles, enveloppées même dans un voile de mystère, tant il n’est pas homme « à se la jouer », comme on dit. Pourtant actif au sein d’un cercle littéraire sétois qui a Brassens pour emblème, on a vu et entendu Joseph quelquefois par le passé, chez Evy par exemple, lors des belles années du Musée de l’artiste frontignanaise de l’impasse des Plaisanciers. Et puis Joseph reste, avec son épouse, un fidèle du public de Musc’art -en période normale !- mais discrétion oblige, encore, il n’est jamais monté sur la scène devant le public.
D’où cette belle surprise d’avoir vu Joseph répondre à notre invitation de s’exprimer par le questionnaire en ligne de Musc’art. Il se révèle alors comme il a toujours été : un homme doué de cette richesse puissamment ancrée dans le milieu de la terre et de la nature qui par les efforts de son intelligence naturelle, elle aussi, s’est propulsé vers le savoir , les livres et l’écriture, pour forger sa seconde nature, celle d’un écrivain qui veut exprimer, selon certaines formes, poétiques ou romancées, son amour de la vie, des gens et de la paix en même temps que son aversion pour tout ce qui dans notre société ou notre monde peut contrecarrer ces amours-là.
Son vécu a servi sa réflexion et son écriture dans laquelle le soin qu’il met à livrer ses sentiments avec une simplicité désarmante de puissance fait de Joseph Teyssier un homme digne du plus grand respect pour ce qu’il est et ce qu’il écrit, tout simplement. Ecoutons-le parler de lui, à la troisième personne, qui refuse le « je » qui le mettrait trop en lumière. Etonnant !
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1° Joseph, qui êtes –vous ?
Quel a été le chemin jusqu’à votre premier livre ?
Qui est-il ? Mon Dieu ! Le sait-il lui-même ? Un enfant de la montagne, un gavot né pendant la guerre. Sa vie fut une bataille naturelle sur ce plateau ardéchois où la « burle » passe le mur du son comme un blizzard sibérien. Une modeste ferme fut son nid, accompagné de trois vaches, un cochon, des chèvres, des poules et lapins. À l'époque il existait des milliers de fermes de ce modèle, aujourd'hui elles ont disparu, c'est bien dommage : on ne respecte plus la nature. Jusqu’à l’âge de 10 ans il ne connut que cette vie biologique et campagnarde où la nature fut son centre d’apprentissage pour la vie, sans la richesse de la ville.
En 1951 il descendit à Beaucaire dans le Gard. Dans cette ville il découvrit qu'il existait quatre laiteries, aujourd’hui elles ont disparu. Il assista à la crue du Rhône et l’on ne se plaignait pas de cette catastrophe naturelle. Tout le monde subissait cette mauvaise humeur de la nature, on ne se plaignait guère. Il faut dire que le limon abandonné par le fleuve fertilisait la terre.
À l'âge de 10 ans il entra dans un séminaire ; il y fit deux années scolaires ; ensuite l'école laïque et le centre d’apprentissage. À dix-huit ans, il alla travailler. Ce fut l'obligation des humbles citoyens : pas de grandes écoles pour lui.
Pendant les vacances d’été il allait garder les vaches à la montagne. Les gens disaient que cette activité le désintoxiquait des impuretés de la ville. Lui, il pensait qu’ils avaient de la main d’œuvre gratuite et comme les vachers étaient mineurs, ils furent surveillés pour éviter leurs esclandres.
Il fit un an de service militaire à Grenoble ; dans la gaîté il se détacha des jougs de la famille mais son escarcelle fut maigre. Ensuite il fut expédié, manu militari, en Algérie où il termina son service sans grands dommages.
Cheminot par la force des choses, le chômage n’existait pas. Il fit sa carrière dans ce club aux diverses occupations professionnelles. Il débuta dans le service voyageur où l’on devait connaître la carte de France ferroviaire par cœur ; il termina dans le service de transports de marchandises par trains.
Il prit des cours par correspondance, offerts par l’entreprise et pendant les heures de coupures de son service ; il alla à la bibliothèque de la gare d’Austerlitz à Paris pour consulter des livres ; elle en possédait beaucoup ; ce fut sa ruche de divertissements. Se documentant pour ses devoirs il commença à s’intéresser à la poésie.
Muté à Sète, un copain l’inscrivit à l’association poésies et chansons Georges Brassens. Ce fut un esprit de camaraderie et là il fit son apprentissage poétique.
À la retraite il participa aux ateliers d’écriture et de poésies. La poésie classique est son violon d’Ingres. Il participa à des concours où il obtint des diplômes. Son premier livre fut un recueil de poèmes à 69ans.
Comme on dit , il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Il s’intéressa aussi à la peinture ; ce fut son deuxième violon d'Ingres.
2° Si le récit peut féconder le réel c’est pour quoi faire naître ?
Sa poésie d’abord est le reflet de ses observations dans la nature et de la vie courante. La Muse fut là pour versifier son enfance et les événements plus ou moins réjouissantes. Il fit naître la beauté de la poésie avec sa prosodie. Il mena un docile combat pour maîtriser cette discipline.
3° Qu’est-ce qui déclenche l’écriture ? Ecrire est-ce une contrainte ?
Rien ne le destinait à l’écriture. À l’époque le téléphone n’était pas dans tous les foyers, seules les lettres furent les liens avec la famille et la société.
Écrire est une contrainte ; elle l’oblige à se plonger dans les livres de langue française. Revoir sa grammaire, réviser la syntaxe. Corriger sans cesse ses erreurs. Comme un forgeron travaille dans son atelier il forge son travail en se disant que demain il sera meilleur sans viser le nirvana.
Souvent il se remet en question : il prend du temps pour travailler. Il revoit ses copies, il les corrige et Internet l’aide beaucoup dans ses recherches.
4°Quel est le mot le plus important pour vous ?
L’amour et la paix, sont les deux mamelles auxquelles je me nourris même si dans notre cœur une intolérance ronge vos craintes. Pourquoi faut-il tant de haines, de guerres et de batailles pour bâtir l’idéal ?
S’il vous dit qu’il est un enfant de la guerre : il est né pendant la guerre et cela le marqua. Ensuite il fut envoyé en Algérie pour le maintient de l’ordre. Il considéra toujours que ce ne fut pas une guerre pour lui, sa patrie étant la France. Il fallait laisser vivre ces gens dans leur pays. Il accomplit son service militaire comme appelé du contingent ; il allait en baver pendant 36 mois ; il n’en fit que 22 ; c'était la fin de la guerre. Il ne s'engagea pas dans l'armée
Il est chrétien, catholique par la force des choses ; il ne le renie pas du tout ; ils lui ont appris l’amour.
Mais croyant, pas à tout ; il n’est pas dupe. La religion est une invention de l’homme ; certains s’en servent pour rassasier leurs faims de guerres et de pillages. Il pense qu’il faudrait la moderniser, la mettre au goût du jour. Vingt siècles ont passé, la vie a changé.
5°Bâtissez- vous livres avec une architecture pré-établie ?
Il enfermait ses poèmes dans des chemises, qui languissaient dans le tiroir.
Un ami disait que les œuvres devaient vivre, respirer l’air du temps.
Il édita son premier recueil, puis deux autres.
Il s’aventura dans les romans, tout seul, en autodidacte, mais il aurait dû demander une deuxième main ; têtu comme une mule il ne le fit pas.
Il retraça un peu ses souvenirs du passé, depuis 1950, avec des personnages fictifs et du rêve. Il prospecta les départements de la Lozère, du Gard, des Bouches du Rhône et de l’Hérault.
6° Ouvrez nous un peu votre « fabrique d’écritures » ?
Il cherche sa Muse dans l’air du temps, les événements qui surviennent, les joies, les peines, l’amour de la nature. Sa plume arrive de sa montagne natale pour se jeter dans la mer houleuse, souvent étalée. En ce moment la pandémie est une source de ses poèmes ainsi que ses sentiments, ses réflexions et ses idées, bonnes ou mauvaises. Il s’inspire de chanteurs tels que Jacques Brel, Jean Ferrat et Georges Brassens, Pierre Perret et bien d’autres, La Fontaine, Victor Hugo et bien d’autres poètes classiques et surréalistes.
7 L’écrivain peut-il rendre le monde meilleur ?
Il ne sait pas ; il se rend compte que l’écriture améliore la vie sociale. Savoir lire et écrire, c’est déjà un trésor. Il réalise que dans le monde les illettrés sont exploités ; il en a gros sur la patate, comme on dit. Durant sa jeunesse les paysans disaient qu’on n’avait pas besoin d’aller à l’école pour s’occuper des bêtes et travailler la terre et que les bras suffisaient. Alors ils privaient les gens de cultiver leurs esprits. Aujourd’hui grâce à l’écriture nous avons d’autres outils pour civiliser le peuple. Certains s’en servent pour développer leur barbarie mais le plus grand nombre les utilisent pour améliorer l’humanité.
8° Pourrait-on dire que l’enfance est l’élément fondateur de votre écriture ?
L’enfance c’est le point de départ ; ensuite la route est longue pour arriver à la ferme des œufs d’or. Souvent il se sert de ses souvenirs d’enfance pour élaborer ses ouvrages.
9°Quels sont les titres de vos livres ?
Poésies :
- Le coucher du soleil sur la mer.
- Les cigales, la Gardiole.
- Ma Muse en vadrouille.
Romans :
- Les fantasmes dramatiques de Gaston,
D’abord, un peu la vie de campagne dans les années 1950 et la capitelle, ensuite la vie de vignerons vers les années 1980 et ensuite la vie mouvementée de Gaston.
- Le farfelu :
C’est l’histoire d’un jeune homme devenu prêtre mais par ses fantasmes il a vécu dans l’errance avec des élucubrations.
Entièrement autodidacte ; il y a des erreurs, il le reconnaît.
10° Comment percevez –vous le monde qui nous entoure ?
La méchanceté, l’égoïsme, l'ingratitude, le masochisme sont les fléaux qu'utilisent les barbares pour abaisser le peuple. Heureusement la sagesse de gens lettrés conteste ces désastreuses entreprises en semant le progrès et la science.
11° Qu’est-ce qu’un écrivain selon vous ?
Il ne parle pas de lui ; ce n’est qu’une aventure, la volonté de vaincre la médiocrité, de se surpasser même s’il n’arrive pas au sommet. Pour lui ça n’a pas d’importance, il existe quand même ; sa page remplie, il a gagné. Il pense au maçon au pied du mur ; quand celui-ci est terminé le tâcheron est ravi de son travail, il n’en demande pas plus.
12° L’écrivain est-il un grand alchimiste de la réalité ?
C'est un artisan qui affectionne ses mots ; comme un chimiste il élabore des expériences pour obtenir une œuvre digne de ses recherches.
13° Vous êtes vous immergé très jeune dans la lecture et l’écriture ?
Comme il vous l'a dit, sa lecture instructive commença qu'à partir de dix ans à Beaucaire.
14° Quelles sont vos relations avec le temps ?
Il vit au temps présent ; souvent le passé lui revient avec les peines, les joies et les erreurs commises. Il se dit que c'est le destin. À son âge, ce n'est pas la peine de penser à l'avenir ; il n'a pas peur de demain, ainsi sera-t-il ?
15°Des projets littéraires en vue ?
Il a d’autres poèmes dans son tiroir ; il désirerait bien les éditer pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Ne serai-ce que pour lui.
Peut-être un roman sur les enfants mal-aimés au vingtième siècle. Ces enfants loués, même des adultes, à la merci de certains patrons indélicats.
Et puis la peinture le fascine ; c’est un passe-temps favori ; sur sa toile le pinceau lui fait découvrir les effets magiques de la couleur alors il continuera.
16°Votre proverbe préféré ?
Rien ne se créé, rien ne se perd, tout se transforme. Il a aussi « tout vient à point à qui sait attendre ». Il laboure, sans cesse, son champ de l'ignorance pour récolter une moisson de connaissances ; alors « le travail, c'est la culture d'une vie, » presque accomplie. Ça, c'est lui qui le dit !