Un échec à Sète.

Il est toujours difficile, notait l'historien J. Meyer (Histoire de France, Hachette 1985, T.3), pour les créations urbanistiques, de s'insérer dans le cadre existant. Ainsi Sète, création artificielle, s'est heurtée à la concurrence de deux métropoles existantes, Bordeaux et Marseille, en cherchant à diversifier ses activités. Et, en tentant de développer une manufacture de tabac après le milieu du XVIIIè siècle, des négociants sétois échouèrent.

Les tentatives languedociennes pour diversifier et développer l'activité de Sète forment, depuis sa création (1666) jusqu'à la fin du XVIIIè siècle, une liste de déconvenues. Le regretté professeur Dermigny, sur la foi des rapports officiels, incriminait le manque d'esprit d'entreprise des Languedociens (Esquisse de l'histoire d'un port). Selon lui, "Les Languedociens entreprenants sur le plan maritime, c'est de préférence hors du Languedoc qu'on les rencontre", à Bordeaux et surtout à Marseille. La cité phocéenne veille jalousement sur le respect de son monopole du commerce avec le Levant et, par Agde, concurrence directement la création de Louis XIV. Quant à la concurrence de Bordeaux, elle fit échouer les tentatives d'établissement de lignes vers l'Amérique et les Antilles. Le milieu du XVIIIè siècle vit l'échec du raffinage du sucre. Or, l'entreprise Tinel à peine liquidée en 1750, quatre négociants sétois (Bresson, Ratyé, Mercier et Coulet frères) s'associent pour installer une manufacture de tabac dans les locaux de l'ancienne raffinerie (à peu près sur l'emplacement des halles actuelles).

Après tant d'échecs, ils manifestaient un bel esprit d'entreprise.

Le Tabac, Feuilles De Tabac

En 1751, le tabac arrive de Virginie par le relais de la métropole britannique, principalement par les ports de Whitehaven, Ayr et Glasgow. Et Sète va nouer des liens spirituels avec l'Amérique. Les autorités languedociennes sont en contact avec Benjamin Franklin. Les idéaux proclamés par les révoltés contre la couronne anglaise diffusent dans la bourgeoisie. A tel point qu'en 1782 est créée la loge maçonnique des Amis fidèles des Treize Etats Unis. A Sète, on avait fêté la victoire de Yorktown (1781) avec Te Deum et feu d'artifice. Victoire morale qui se doublait de l'ouverture d'un marché à l'échelle continentale.

La manufacture semble prendre son essor. Elle "occupe 300 ouvriers et fournit les bureaux de Lyon et les provinces voisines du Rhône". L'entreprise résiste à un incendie et aux plaintes des Sétois relatives aux fumées et odeurs provoquées par le brûlage des rebuts. Les lettres de protestation s'accumulent sur le bureau du maire. Par ailleurs, les ouvriers à la manufacture sont mal payés : un ouvrier ne gagne que 18 sous (une bonne journée de travail est payée 1 livre, soit 20 sous). Les autres employés (femmes, enfants) encore moins. Mais des difficultés apparaissent dans l'écoulement des produits. L'entreprise a 100 000 tonnes en stock.

Et, à Marseille, on sature le marché, on casse les prix. La ligue du tabac décline, de même que l'activité de la manufacture. Peu à peu, elle cesse ses activités. Ses locaux ont été transformés en caserne en 1795.

Hervé Le Blanche